Sylvain Ortega

Sylvain Ortega

« Sabote t-on la psychiatrie ?

Né à Grenoble, Sylvain Ortega vit à Montélimar depuis 2007. Après un début de vie difficile, il s’est sensibilisé aux problèmes de la psychiatrie depuis 2016, année qui a vu, sur la commune drômoise, la fermeture de l’hôpital psychiatrique « Les 56 lits », créé en 2009 dans le quartier de Beausseret.

Après seulement sept ans de fonctionnement, cette entité a vécu une « restructuration géographique » décidée par l’Agence Régionale de Santé, arguant un « transfert de lits » vers le département de l’Ardèche.

Aujourd’hui, Sylvain Ortega juge la situation de ce domaine si sensible toujours aussi catastrophique dans le département de la Drôme.

A l’image de ce qu’il est, au plan national. Son témoignage est important.

Itinéraires 26 : « Sylvain, votre entrée dans la vie aurait pu être plus heureuse… »

Sylvain Ortega : « Assurément… J’ai, en effet, été maltraité pendant mon enfance, par la compagne de ma mère – une femme, donc. Et cela a commencé lorsque j’étais bébé. Des photos peuvent encore l’attester, des photos à caractère pédopornographique…

Pendant longtemps, je n’ai pas compris mon mal-être. Car en réalité, j’étais drogué.. par des médicaments que l’on ajoutait à ma nourriture. Un traitement qui va durer pendant des années, des années pendant lesquelles ma mère – qui est bipolaire – a laissé cette situation s’envenimer.

Lorsque j’avais 10 ans, sa compagne, couchée dans mon lit, me violait assez fréquemment…

Et puis, ma mère et elle se sont séparées. Mais, comme j’avais enfoui au plus profond de moi l’ensemble de ces souvenirs scabreux, j’ai continué à fréquenter cette personne ! Toutefois, les choses avaient dû évoluer, car je n’ai pas souvenir d’autres exactions sur ma personnes par la suite… »

It. 26 : « Mais c’est quelque chose qui devait vous ronger, non ? »

S.O. : « Scolairement, j’en ai très tôt ressenti les effets, oui. De plus, l’un de mes voisins proches, dans le quartier où nous habitions, un voisin de mon âge, vivait de son côté une situation un peu analogue à la mienne, tout comme sa sœur.

Tous les deux étaient abusés par leur père…

Mais ce ne sera que bien plus tard, en 2008, que le Centre Médico-psychologique de Montélimar va me « diagnostiquer » la première fois. Je suis arrivé dans cette ville de la Drôme pour me rapprocher d’une partie de ma famille…

Mon père ? Je ne vais le connaître vraiment qu’en 2004… et encore, suite à une certaine démarche de ma mère…

Lorsque je m’installe à Montélimar, j’arrive de Bordeaux. C’est en Gironde, suite au dépôt de ma part d’une plainte visant la copine de ma mère, que je vais entrer au Centre Médico-psychologique bordelais.

Arrivant en Drôme, je ne pouvais que continuer sur cette voie. Et donc, en 2008, leur diagnostic à mon encontre sera suffisamment clair : dépression sévère et persistante.

J’ai alors commencé une période de soins, à l’Hôpital de Jour de Montélimar. A ce moment-là, « Les 56 lits » existent toujours, et j’y ferai même un séjour d’une semaine. Une semaine qui m’aura, d’une certaine façon, un peu réconforté. Car moi qui ressentait un fort sentiment d’isolement, j’avais eu la joie de voir, pendant ce séjour, un grand nombre d’amis me visiter… »

It. 26 : « Selon vous, comment débutent les complications ? »

S.O. : « L’Agence Régionale de Santé , par une décision que je juge totalement arbitraire, va venir « bousculer » un système qui marchait plutôt très bien… Moi ? Je suis toujours suivi, au niveau psychiatrique, au Centre Médico-psychologique, mais par un infirmier.

C’est à cette période qu’avec Lise G. – elle-même schizophrène stabilisée – nous allons « créer » un « duo associatif » que nous baptiserons « Les Frappés ». Cette idée était née suite à une manifestation importante organisée par la CGT-Santé de Montélimar.

Ce que nous voulions ? Avertir de la gravité d’une situation par rapport à une rupture de soins. En 2016, nous demanderons le soutien du mouvement « Nuits debout » pour organiser des manifestations plus importantes…

C’est à cette même période que l’association U.N.A.F.A.M – Auvergne-Rhône-Alpes apportera son plein soutien à l’Agence Régionale de Santé dans son processus de restructuration ( de destruction ? ).

Je voudrais évoquer aussi le cas de Guilherand-Granges, en Ardèche. Dans cette ville, vous pouvez trouver un Hôpital de Jour, initialement spécialisé dans le traitement de la dépression.

Avant l’apparition de la Covid-19, la dépression concernait entre 10 et 20 % de la population française.

Cet hôpital a, lui aussi, était « menacé » de transformation, pour le ramener à un statut d’hôpital de jour « classique ». Ce qui, à mon sens, allait entraîner une certaine baisse des soins… situation grave dans un département présentant déjà un très fort taux de suicides…

Lise et moi allons alors entrer dans l’association « Patients, Usagers et Défenseurs de Racamier », « Racamier » étant le nom de l’hôpital, qui fut ouvert par Paul Racamier, un médecin psychiatre qui s’était spécialisé dans la perversité.

Avec l’association, nous allons démarcher les élus, notamment les députés, dont un va nous soutenir « de fait », mais sans grands moyens à sa disposition, malheureusement… »

It. 26 : « Mais vous ne vous arrêtez pas là…. »

S.O. : « Disons que pour pouvoir témoigner de ce que Lise et moi voyions en Hôpital de Jour, ou au Centre Médico-psychologique, c’est-à-dire au moins le décès d’un patient par an, dans des circonstances qui restaient à déterminer, il nous manquait une association plus locale.

Nous allons être invités à témoigner, toujours grâce à la CGT-Santé, dans une délégation « soignants/soignés », pour rencontrer le député de la Drôme de l’époque, Franck Reynier. Nous voulions, une fois de plus, le sensibiliser à cette rupture de soins dramatique qui allait impacter les patients montiliens, dont beaucoup étaient trop fragiles pour envisager une « délocalisation » en Ardèche.

Mais malgré toutes nos tentatives, les collectifs engagés n’auront pas gain de cause…

Du côté de Guilherand-Granges, l’association « Racamier » cessera d’exister, faute de patients.

Et les services spécifiquement destinés aux dépressifs aussi, en mai 2016.

En 2017, nous allons créer l’association « La vie comme sur un fil ». Au départ, nius étions cinq : quatre patients, et une personne censée nous guider, et elle-même porteuse d’un handicap physique.

Mais au bout de quelques mois, des problèmes vont commencer à poindre au sein de cette association, apparaissant pendant la « Semaine de la Santé Mentale » – qui existe depuis 1990.

Dès 2018, une « scission » va intervenir dans cette toute jeune association… dans un manque de respect criant. L’association s’en est trouvée fragilisée.

Nous participerons pourtant, à Valence, au Collectif « Handicap Psychique », qui devait apporter sa contribution dans la rédaction du « Livre blanc de la Psychiatrie ».

Mais, soit dit en passant, et c’est mon avis personnel, ce projet n’est pas une photographie du réel…

Quoi qu’il en soit, je garderai de cet épisode valentinois un gros sentiment d’échec. 

De plus, depuis 2019, j’ai personnellement fait l’objet de nombreux harcèlements, de la part de plusieurs personnes dont certaines bipolaires, dans une indifférence quasi générale.

Il s’en est suivi une rupture de confiance avec le Centre Médico-psychologique, qui, à titre personnel, va m’amener à un arrêt de prise de médicaments et une dégradation de mon état de santé…

C’est pour cela que, depuis 2019, n’ayant plus aucun soutien, j’ai cessé toute activité associative. Mais cela n’enlève en rien dans mon jugement sur l’état de la santé mentale en France, qui reste toujours aussi alarmante.

Selon moi, « l’année de la psychiatrie 2025 » va avoir du mal à faire ses preuves, et à inverser une tendance gravissime.

Les sommes nécessaires pour envisager sereinement une quelconque évolution sont beaucoup trop importantes par rapport au budget alloué.

La Covid-19 n’a pas arrangé les choses, bien au contraire. Hausse des violences faites aux femmes, hausse des violences faites aux enfants… en période confinée, ces choses-là ne peuvent que s’aggraver…

La dépression chez un tout autre type de population s’est faite jour. Et si ces nouveaux patients vont pouvoir profiter de nouvelles mesures spécifiques, j’ai bien peur que tous les autres, les « anciens », restent encore au bord du chemin.

Une prise de conscience citoyenne doit intervenir, et un nouvel engagement, en dehors des structures existantes, doit voir le jour.

Pour le bien commun.

Car tout ce qui, à ce jour, été mis en place , a été pour l’instant voué à l’échec.

Ce problème sanitaire particulier, mais aussi le bien-être de tous les patients concernés, méritent tellement mieux….

Propos recueillis le vendredi 11 avril 2025.

Crédit photo : M.M

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