L’envie.. la volonté… et le talent…
Heureusement que le jazz.. et le jazz vocal en particulier, a su se féminiser avec le temps. Ce qui nous permet de belles rencontres comme celle d’aujourd’hui. La chanteuse et musicienne qui reçoit « Itinéraires » aujourd’hui ne doit rien à personne. Elle s’est construite à force de volonté.. et c’est une réussite…
Itinéraires : « Cécile, la musique intrevient dans ta vie à quel moment ? »
Cécile Messyasz : Très tôt, en fait.. Je suis née en Allemagne, pour être exacte, à Donaueschingen, en plein milieu de la Forêt Noire. Pourquoi là-bas ? Simplement parce que mon père y était militaire.. et, en plus, musicien. Mon père a été Médaille d’Or au Conservatoire de Douai, dans le Nord, en flûte traversière, et ce, très tôt puisque c’était vers ses dix-sept ans… Ce sera d’ailleurs à cet âge aussi qu’il intègrera l’Armée de Terre.
Lorsque nous rentrons en France – j’ai quatre ans – mon père rentre dans l’Armée de l’Air à Mérignac, en Gironde, où il va aussi rejoindre le « Big Band de l’Armée de l’Air ». Il faut te dire qu’en plus de la flûte, mon père joue du piano, du saxophone, de la contrebasse… et ces instruments, ils les a maîtrisés en parfait autodidacte…
Mon père appartient à « la branche musicale » de la famille, car ma mère est institutrice et non musicienne. Mon frère Nicolas, aujourd’hui reporter-photographe, avait appris, lui, la guitare électrique, version « rock », mais n’a pas continué.

Et donc cette branche paternelle est aussi polonaise, d’où la consonnace de mon nom… Mes grands-parents, son père et sa mère, étaient tous les deux musiciens : elle était pianiste, et lui… trompettiste au début puis contrebassiste, suite à un accident à un doigt.. Ils ont toujours joué à un très haut niveau, pourtant, ils n’ont jamais fait de la musique leur métier. Mon grand-père, architecte au début de sa vie, a travaillé ensuite dans les mines du Nord..
Mais j’ai toujours entendu de la musique, chez eux, et notamment de la musique tzigane et je crois que c’est ce qui a fait naître l’envie en moi..
Faire de la musique avec d’autres musiciens, c’était pour moi le « must ». Et aussi l’effet que cela pouvait produire sur un auditoire, entre joie et liesse…
Par contre, j’ai aussi su très vite que « c’était un métier », et qu’il fallait travailler dur…

I : « Quel instrument te tentait, à ce moment-là ? »
C.M. : J’ai eu très tôt l’envie de faire du piano.. peut-être à cause de ma grand-mère, d’ailleurs, qui a su s’imposer vraiment dans cette voie musicale. Mais en fait, au fond de moi, j’ai toujours su que je serai musicienne, ou chanteuse. Et mes parents l’ont assez vite compris. Ils vont m’inscrire à l’Ecole de Musique de Blanquefort, toujours en Gironde, alors que j’ai six ans. Mais, dans la classe de piano, celle qui me tentait… plus de place ! J’étais effondrée.. Alors, on m’a fait faire le tour de toutes les autres classes, saxo, violon… je t’en passe… et à un moment donné, je vais m’arrêter sur la classe de violon alto.. et je vais être fascinée.. Fascinée par la gentillesse de la prof, fascinée par le son de l’instrument. Pas que le son, d’ailleurs, sur l’instrument tout entier ! La prof, c’était Sylvie Arsène-Henry et crois moi, pas un jour ne passe sans que j’ai une petite pensée pour elle… Elle va m’accompagner pendant les dix ans que je passerai dans sa classe. Et je peux te dire que Sylvie a changé ma vie..
Mais en parallèle, je n’avais pas abandonné l’idée du piano, et je me suis inscrite dès l’année suivante ! Avec les cours de solfège, et les cours d’orchestre, tu le vois, ça faisait quelques belles heures par semaine !
I : « Et le chant ? Il va arriver comment, dans ta vie ? »
C.M. : Déjà, j’ai toujours plus ou moins chanté, à la maison. Très tôt. Et puis, on écoutait beaucoup de musiques, du jazz notamment, ou encore des musiques brésiliennes. J’ai certainement reçu cette influence-là aussi.. J’ai dit assez vite à mes parents mon envie de chanter, un peu plus sérieusement que le simple chant à la maison. A treize ans, je voulais carrément prendre, en plus de ce que je faisais déjà, des cours de chant. Mais mes parents n’ont pas voulu. Pourquoi ? Je crois que je ne l’ai jamais vraiment su… mais sur le coup j’étais triste, et même un peu en colère ; Mais j’ai eu « ma revanche », car, pour une fête de mon collège, chaque élève était libre de présenter un numéro de son choix. Sur une belle scène, avec de superbes décors.. Et moi ? Je suis allée voir les professeurs-organisateurs, et je leur ai dit : « Moi, je veux chanter ! » – et je voulais chanter « La Javanaise » de Serge Gainsbourg… Le professeur de sport – qui était aussi pianiste – s’est généreusement proposé pour m’accompagner.
J’avais averti mes parents de cet événement mais tardivement. Et ils ne sont pas venus !… Mais les autres parents d’élèves, dès le lendemain, ont su les « affranchir » sur la prestation que j’avais réalisée – et qui s’était très bien passée. L’année suivante, je recommençai l’expérience, cette fois sur la chanson « Confidentiel » de Jean-Jacques Goldman, et, cette fois, ils étaient bien présents… et ils ont compris. Ils ont compris aussi que j’allais m’accrocher.

Mon père m’a alors parlé d’une école de jazz, le « Centre de Musique Aquitain » de Joseph Ganter – un Centre qui a disparu aujourd’hui. Il était dans le centre de Bordeaux.
J’y vais, pour faire un cours collectif d’essai, j’étais entourée par des personnes avec une moyenne d’âge de quarante ans, et j’en avais quinze ! Mais là, j’avais trouvé ma place. J’en avais la certitude…
I : « Mais ça faisait beaucoup, non ? »
C.M. : C’est vrai. Entre le lycée, le solfège, le piano, le violon alto.. le chant se rajoutait.. avec tous les autres cours annexes du jazz ! Il m’a fallu faire des choix. J’ai bien sûr axé ma voie sur le chant, et le jazz.. et si j’ai conservé le violon alto, c’est le piano que j’ai laissé sur le bord de la route…
Qu’est-ce qui m’a attirée dans le jazz ? Je n’aurais peut-être pas pu te répondre sur le moment. Mais, maintenant, je peux. D’abord, c’est « l’ouverture » que t’apporte cette musique de création, et la liberté infinie que t’offre le jazz. C’est une forme d’expression extrêmement vivante, et elle a réveillé beaucoup de choses en moi. Et puis, « l’histoire » du jazz m’a aussi beaucoup parlé, en tant que jeune adolescente…
Le violon alto, je vais l’arrêter à mes dix-sept ans. Et je le reprendrai… trente ans plus tard, pendant le tout premier confinement dû à la Covid-19, avec comme professeure Blandine Leydier – qui était prof au Conservatoire de Toulon. Un Conservatoire que j’ai rejoint en 2021…
Au « Centre de Musique Aqutain Joseph Ganter », je vais rester dix ans. Dix années peuplées de jazz vocal, de piano jazz.. et toute la théorie qui va avec. Cela m’occupait six heures par semaine, en plus de mes heures de lycée.
Je veux te dire aussi que, après mon Bac, j’ai suivi des études de psychologie. Pendant lesquells, avec des copains, je courais les bœufs, les jams… sans vraiment avoir de groupe musical déclaré !

I: « Et puis ensuite… tu vas tenter un gros deal… »
C.M. : A vingt-cinq ans, je décide de passer une audition pour obtenir une bourse, et pour partir ensuite au « Berklee College of Music » , l’école la plus réputée pour le jazz, à Boston.
Tout le monde a cherché à me décourager ! En me disant que j’allais au « casse-pipe » ! Mais je me suis accrochée encore à mon idée, et j’ai, malgré tout, passé cette audition. Dans ce milieu-là, plus tu as du talent, plus tu as des dollars !…
J’ai préparé cette audition toute une année, coachée par Joseph Ganter, le seul qui m’ait réellement encouragée. On était là en 2001.
J’ai passé l’audition à Paris.. dans un milieu où seul l’anglais est parlé, et moi, je le parlais tout juste…
Ils me promettent de me donner une réponse par mail, dans un délai de trois mois, mais, je ne sais pas pourquoi, « ça sentait bon… ». Et une semaine seulement plus tard, je recevais ce fameux mail qui m’informait que j’avais été retenue, et que la moitié de mes frais de scolarité étaient pris en charge ! Bon, bien sûr, il me restait à trouver l’autre moitié, et surtout, vivre là-bas ! Car Boston, c’est une ville très enrichissante, mais c’est aussi une ville très chère !
C’est ma mère qui va aller faire un emprunt pour assurer la seconde moitié de mes frais… et c’est comme ça que je suis partie à Berklee, où je resterai deux ans, deux ans pleins, avec beaucoup de rencontres à la clé, dont beaucoup font encore partie de mes amis aujourd’hui.
I : « De retour des Etats-Unis, où t’installes-tu ? »
C.M. : Je décide de m’installer à Paris. Et sans le sou ! J’avais une valise de fringues, et une valise de partitions ! Je serai, dans un premier temps, hébergée par des copains rencontrés à Berklee. Mais il me faut travailler, et je vais enchaîner les petits boulots alimentaires.. qui me permettront de louer une chambre de bonne de dix mètres carrés au prix fort…
La seule chose que je me suis autorisée dans cette période, ce sera un clavier. Un clavier que je possède toujours, bien sûr.
En parallèle de ces boulots, je faisais le tout de tous les jazz-clubs parisiens, et j’ai commencé à entrer dans plusieurs petits groupes « spontanés » parce que, comme mes copains, ce que je voulais, c’était jouer ! Et, de fil en aiguille, je vais bâtir comme ça ma route, jusqu’à en faire aujourd’hui mon métier. Mais à Paris, je n’étais pas encore intermittente, et je garderai les « petits boulots » jusqu’à ce que je vienne m’installer dans le Var, où je suis encore aujourd’hui.
Ce que j’ai oublié de te dire, c’est que j’ai commencé à donner des cours de chant dès mon retour des Etats-Unis, au « Projet Musical », dans le dixième arrondissement de Paris. Lui aussi a disparu aujourd’hui. Mais ça m’aura permis d’avoir un boulot de professeure de jazz vocal quasi à plein temps !

I : « Pourquoi le Var ? »
C.M. : En 2013, j’apprends que je suis enceinte.. Mon compagnon était originaire du Var, et nous avions décidé que notre enfant – Théo – verrait le jour au soleil de ce département.. Il est né en juin 2014.
Arrivée dans le Var, j’y donne des cours, je continue à me produire avec des musiciens varois, toujours pour de petits concerts occasionnels.
Pour mon premier album, « Theo’s lullaby », j’ai la chance d’avoir autour de moi une très belle team : Christophe dal Sasso, qui est le directeur artistique de l’album et qui en a écrit les arrangements, d’abord et puis, grâce à lui vont s’ajouter le pianiste Guillaume Naud, le contrebassiste Mathias Allamane, et le batteur Donald Kontomanou. Christophe étant bien sûr à la flûte.
Sur cet album aussi, j’aurais la grande chance d’enregistrer un duo avec Eric Legnini. Tu vois, un album qui nait dans de super conditions…
En 2021, pendant le second confinement, j’enregistre mon second album – qui regroupe le jazz et les musiques brésiliennes – avec, à la guitare jazz, Jean-Philippe Sempéré, Chris Le Van à la contrebasse, Philippe Jardin à la batterie, Christophe est toujours à la flûte, et fait les arrangements, et on trouve aussi le tromboniste américain – mais résident varois – Michael Steinman.
Cet album s’appelle « Du pourpre au blanc ». Et parmi les morceaux qui le composent, un titre que j’ai partagé avec Vincent Lafont…
Je démarche, depuis, cet album, dans de nombreux festivals.
I : « Et aujourd’hui ? »
C.M. : Aujourd’hui ? Je suis en pleine écriture du troisième album, dont je ne te dirai encore rien, puisque c’est bien trop tôt ! Si… ce que je peux te dévoiler, c’est qu’il sera essentiellement bâti autour de mes compos personnelles, et que l’équipe qui m’entourera musicalement sera.. exclusivement féminine !
La suite.. pour bientôt !
Propos recueillis le mardi 22 octobre 2024
Un grand merci aux réseaux sociaux ! Comme quoi…
Ils auront joué leur rôle dans la mise en place de cette rencontre, une belle rencontre comme « Itinéraires » aime en faire.
On suivra d’autant mieux la belle route de cette super « voix »…
Crédit photos : Sophie Thouvenin, Lucky Bucher, Doriana Explores









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